Un PDG annonce une faillite en vidéo, un dirigeant donne un ordre de virement en visioconférence, un collaborateur reçoit un message vocal urgent… Pourtant, tout est faux. Démocratisés par des outils en ligne, les deepfakes sont passés du divertissement à la menace cyber. Comment distinguer un vrai d’un faux ? Quels risques pour l’entreprise ? Et quelles parades mettre en place ?
Sommaire
Deepfakes : comprendre la technologie derrière la menace

Un deepfake est une image, une vidéo ou un fichier audio généré par intelligence artificielle (IA) afin d’imiter de manière réaliste une personne existante.
Les deepfakes peuvent prendre deux formes principales :
- Asynchrones, quand une vidéo ou un audio est enregistré puis manipulé avant d’être diffusé (par exemple, un faux message d’un dirigeant).
- En temps réel, grâce au faceswapping (technique consistant à superposer en direct le visage et/ou la voix d’une personne sur un autre intervenant). Cette méthode permet à un attaquant de se faire passer pour un dirigeant lors d’une visioconférence et rend la fraude particulièrement crédible.
Un exemple marquant est l’image du Pape François en doudoune blanche, largement diffusée en 2023. Malgré l’absurdité de la situation, beaucoup d’internautes y ont cru en raison du réalisme de l’image. Cet exemple illustre parfaitement comment le réalisme des deepfakes brouille notre perception du vrai et du faux et peut faire passer une situation totalement invraisemblable pour authentique.

Les deepfakes reposent sur les GANs (Generative Adversarial Networks), où deux intelligences artificielles s’affrontent : l’une génère des contenus artificiels, l’autre les évalue pour les confronter au réel. À force de confrontation, la qualité des faux s’améliore, rendant leur détection toujours plus difficile.
C’est grâce à une succession d’itérations que le générateur affine ses productions jusqu’à tromper le discriminateur. Plus la machine apprend, plus les deepfakes deviennent réalistes et difficiles à détecter.
Pourquoi les deepfakes posent-ils un problème de cybersécurité ?

Comment les deepfakes sont utilisés dans les cyberattaques ?
Les cybercriminels utilisent les deepfakes selon différentes méthodes pour atteindre des objectifs variés. Quelques secondes d’un enregistrement public (interview, conférence, podcast) suffisent à cloner une voix et à berner un interlocuteur en se faisant passer pour un supérieur ou un partenaire.
Ces attaques exploitent un grand nombre de biais cognitifs liés à la confiance et à l’urgence des décisions, ce qui complique leur détection.
Faux ordre de virements : des millions volés en quelques minutes
En 2024, une entreprise a perdu 25 millions de dollars après qu’un employé a été piégé par une visioconférence deepfake. Face à lui, un faux directeur financier et de faux collègues ont réussi à lui faire valider des transferts frauduleux vers Hong Kong.
Un autre incident marquant s’est produit la même année : des criminels ont utilisé un deepfake vocal pour imiter la voix d’un dirigeant d’entreprise et convaincre un gestionnaire de banque d’effectuer des virements. Au total, 35 millions de dollars détournés avant que la fraude ne soit détectée.
Espionnage industriel : l’ingénierie sociale à un nouveau niveau
Les cybercriminels utilisent les deepfakes pour s’introduire dans des organisations sans éveiller les soupçons. En 2023, des hackers ont usurpé l’identité d’un responsable R&D d’une entreprise technologique américaine en utilisant un deepfake vidéo. Grâce à de fausses réunions en ligne avec des ingénieurs, ils ont collecté des informations confidentielles sur des prototypes en développement.
Manipulation de l’opinion : un impact réputation et financier immédiat
Fin 2023, une vidéo deepfake attribuant à un PDG des propos alarmants sur l’état de l’économie a fait chuter brutalement la valeur boursière de son entreprise. Bien que la supercherie ait été révélée en quelques heures, l’impact financier s’est compté en millions de dollars. Ce type de fraude numérique menace directement la stabilité des entreprises et des marchés financiers.
Contournement des systèmes de sécurité : des protections devenues vulnérables
Certains deepfakes parviennent à tromper les systèmes d’authentification biométrique. La reconnaissance faciale et vocale, utilisée dans des protocoles de sécurité avancés, devient vulnérable face à ces imitations ultra-réalistes, compromettant l’accès à des données sensibles. En 2023, un journaliste britannique a démontré comment les deepfakes pouvaient tromper les systèmes de sécurité vocaux. Avec un simple échantillon de sa voix, il a généré une imitation capable de tromper le système de sécurité de sa banque et d’accéder à son compte.
Fraude bancaire : un faux ministre italien piège des industriels
En 2024, des escrocs ont utilisé un clonage vocal assisté par IA pour imiter la voix du ministre de la Défense, Guido Crosetto. Sous prétexte de libérer des journalistes retenus à l’étranger, ils ont exigé plusieurs millions d’euros. Parmi les cibles figuraient Armani, Moratti, la famille Beretta ou encore Menarini. L’un d’eux aurait versé près d’un million d’euros avant que la supercherie ne soit révélée.
Qui est visé et pourquoi ?
Certains profils et secteurs sont naturellement plus exposés en raison de leur forte empreinte numérique ou de la sensibilité de leurs activités. Toutefois, aucune entreprise, comme souvent lorsque qu’il s’agit de cybersécurité, ne peut vraiment considérer être à l’abri.
Dirigeants et cadres supérieurs
Les PDG, directeurs financiers ou DSI sont des cibles privilégiées. Leurs voix et leurs images, facilement accessibles via interviews ou conférences, permettent de créer des deepfakes crédibles. Ces faux contenus donnent aux fraudeurs une autorité artificielle pour ordonner des virements, annoncer de fausses décisions stratégiques ou demander des informations sensibles.
Services financiers et comptables
Les équipes chargées des paiements sont souvent visées. Un deepfake vocal imitant un dirigeant peut exiger en urgence un changement de RIB ou valider un transfert exceptionnel, contournant les procédures habituelles.
Secteur de la banque et de l’assurance
Dans ce secteur où la confiance est essentielle, les fraudeurs exploitent l’urgence pour détourner des fonds. Un faux représentant d’un organisme de régulation peut, par exemple, obtenir des données sensibles en se faisant passer pour un auditeur. Mais ils peuvent aussi utiliser des données clients volées pour pousser des assurés à effectuer des virements vers des comptes frauduleux.
Secteur de l’industrie et de la manufacture
Au-delà des fraudes financières, les industriels sont surtout exposés au risque d’espionnage. En usurpant l’identité d’un collaborateur ou d’un expert, un attaquant peut s’introduire dans des réunions de projet et accéder à des données stratégiques, comme des prototypes ou secrets de fabrication. Ces informations volées peuvent ensuite être revendues, utilisées pour du chantage ou exploitées par des concurrents.
Secteur du retail et du luxe
Dans le retail et le luxe, les deepfakes servent autant à escroquer qu’à légitimer la contrefaçon. Des vidéos avec des influenceurs clonés peuvent rendre crédibles des annonces de faux produits sur des marketplaces ; des publicités truquées renvoient les clients vers des pages miroirs où sont vendus des contrefaçons. L’impact est double : pertes financières immédiates et dégradation durable de la valeur de la marque.
Comment détecter un deepfake ?

Quels sont les signes qui trahissent un deepfake ?
Malgré les avancées technologiques, les deepfakes ne sont pas infaillibles. En observant attentivement certains détails visuels et sonores, il est possible de détecter des anomalies révélatrices. Voici les principaux indices qui doivent éveiller votre vigilance.
Indice n°1 : Des expressions faciales étranges ou incohérentes
- Un clignement des yeux inhabituel : Une étude du MIT a révélé que de nombreux deepfakes présentent un clignement irrégulier, voire inexistant. La raison ? Les modèles d’IA sont souvent entraînés sur des images statiques où les sujets ont les yeux ouverts. Si ce problème s’atténue avec les progrès de l’IA, certains modèles peinent encore à reproduire un clignement naturel.
- Une asymétrie faciale : Sourire décalé, regard légèrement désaxé, nez qui semble déformé… Ces petites imperfections sont souvent le signe d’une génération artificielle.
- Des expressions faciales rigides ou artificielles : Les micro-expressions sont essentielles à la communication humaine, mais l’IA a encore du mal à les reproduire fidèlement. Un visage trop rigide ou des changements d’expressions brusques peuvent trahir un deepfake.
Indice n°2 : Un décalage entre l’audio et les mouvements des lèvres
- Un mauvais alignement labial : Une étude de l’IEEE (2022) a mis en évidence un défaut récurrent dans les deepfakes : les mouvements des lèvres ne correspondent pas toujours aux sons produits, surtout lors de la prononciation de mots complexes, ce qui peut parfois passer pour des problèmes de latence ou de qualité du réseau.
- Une intonation qui sonne faux : Les voix générées par IA ont parfois une tonalité monotone ou des émotions mal calibrées. Selon des chercheurs de DeepMind, certains deepfakes manquent de variations naturelles dans la voix, donnant une impression robotique.
Ce type de défaut à tendance à s’estomper avec l’évolution rapide des technologies d’IA, qui plus est si l’acteur a pris le temps de s’entrainer à imiter sa cible.
Indice n°3 : Des incohérences dans l’éclairage et les ombres
- Des reflets et ombres anormaux : L’Institut Fraunhofer a identifié un problème fréquent : des reflets incohérents dans les yeux ou les lunettes, ou encore des ombres mal positionnées. Ces incohérences révèlent une manipulation artificielle.
- Des effets de flou ou de scintillement : D’après Microsoft Research, les deepfakes peuvent présenter des zones de flou dynamique, notamment lors de mouvements rapides, rendant l’image légèrement instable.
Indice n°4 : Des textures et détails anormaux
- Une peau trop lisse ou trop détaillée : Trop lisse, sans pores ni imperfections… Une peau artificielle peut être un indice de falsification.
- Des cheveux et des oreilles mal rendus : Les cheveux restent un défi technique pour l’IA. Les erreurs sont fréquentes : mèches incohérentes, contours capillaires flous, oreilles qui semblent déformées ou mal positionnées par rapport au visage.
Indice n°5 : Des artéfacts numériques et une instabilité de l’image
- Des bords du visage qui “bougent” : Lorsqu’un deepfake est mal réalisé, des distorsions apparaissent autour du visage, surtout lorsque la personne bouge rapidement.
- Des effets de tremblement ou de morphing : Une instabilité de l’image ou des changements subtils de proportions peuvent signaler une falsification.
Quels outils pour détecter les deepfakes ?
Avec la progression des deepfakes, plusieurs technologies ont émergé pour mieux identifier ces contenus manipulés. Elles reposent sur l’intelligence artificielle, l’analyse des métadonnées et des systèmes de certification avancés.
L’intelligence artificielle au service de la détection
Les outils d’analyse basés sur l’IA examinent les images et vidéos image par image afin de repérer des anomalies invisibles à l’œil nu, comme des incohérences dans les pixels, les ombres ou les reflets. D’autres solutions exploitent des bases de données de contenus synthétiques pour affiner leur capacité à reconnaître les manipulations produites par des modèles avancés d’apprentissage automatique.
Blockchain et certification des contenus
D’autres approches misent sur la certification des contenus dès leur création. L’idée est d’enregistrer une empreinte numérique infalsifiable dès la capture d’une image ou d’une vidéo, garantissant ainsi son authenticité. Des protocoles intègrent des métadonnées dans les fichiers multimédias pour assurer leur traçabilité
Analyse biométrique et détection comportementale
L’examen des mouvements et des expressions faciales constitue une méthode efficace pour repérer les incohérences propres aux deepfakes. Des modèles d’IA entraînés analysent la dynamique des visages pour identifier d’éventuelles distorsions. Certaines méthodes basées sur le deep learning détectent des artefacts imperceptibles à l’œil humain, révélant ainsi des modifications artificielles. »
Détection audio et approches hybrides
Les deepfakes ne concernent pas uniquement les images : la synthèse vocale est également une source de manipulation. Des algorithmes spécialisés analysent les fréquences sonores, la prosodie et les variations d’intonation pour détecter des anomalies, indiquant que le contenu a été manipulé. Combinées aux techniques de reconnaissance faciale et gestuelle, ces méthodes permettent d’affiner la détection de contenus frauduleux.
Si ces outils permettent des avancées significatives, ils ne suffisent pas à eux seuls. La sensibilisation du public reste essentielle pour éviter de tomber dans le piège des contenus manipulés.
Se protéger des deepfakes : stratégies et bonnes pratiques

Renforcer la vigilance et sensibiliser les équipes
La première ligne de défense contre les deepfakes repose sur la sensibilisation. Les entreprises doivent former leurs collaborateurs à reconnaître les signaux faibles et à adopter de bonnes pratiques de vérification. Instaurer des protocoles de double contrôle, comme valider une demande sensible par un second canal de communication, limite considérablement les risques. À l’échelle organisationnelle, cela passe par l’inscription de ces mesures dans les procédures internes et par leur automatisation autant que possible, afin d’assurer leur adoption systématique.
Des mises en situation et des simulations de fraudes peuvent aider les équipes à mieux identifier les tentatives de manipulation. L’objectif est d’ancrer des réflexes de vérification systématique dans les processus internes.
Il est également crucial de développer des réflexes de vérification face aux contenus audio et vidéo. Encourager les employés à remettre en question une demande inhabituelle et à recourir à une double vérification par un autre canal (appel téléphonique direct, confirmation par e-mail interne) peut éviter des fraudes.
Enfin, intégrer des exercices pratiques dans les politiques de cybersécurité habitue les équipes à réagir face aux deepfakes. En exposant régulièrement les équipes à des tests et mises en situation, elles seront mieux préparées face à une potentielle tentative de manipulation par deepfake.
Sécuriser les communications et les processus décisionnels
Au-delà de la vigilance individuelle, les entreprises doivent renforcer la sécurité de leurs échanges et de leurs prises de décision. Mettre en place des protocoles de validation renforcés réduit le risque d’usurpation pouvant compromettre des transactions financières ou des décisions stratégiques.
L’authentification multi-facteurs (MFA) doit devenir la norme pour toutes les communications sensibles. Un simple appel ou e-mail ne suffit pas à garantir l’identité d’un interlocuteur. L’adoption de solutions avancées, comme la reconnaissance biométrique ou les certificats numériques, offre une protection supplémentaire.
Les processus internes doivent aussi intégrer des points de contrôle supplémentaires. Par exemple, toute demande de transfert de fonds ou de modification de données sensibles doit faire l’objet d’une confirmation par plusieurs parties prenantes via des canaux indépendants.
Garantir la sécurité des échanges implique aussi les partenaires externes. Ils doivent aussi être formés aux bonnes pratiques afin de limiter les failles exploitables par des cybercriminels
Anticiper l’évolution des deepfakes et s’adapter en continu
Les deepfakes se perfectionnent sans cesse, ce qui complique leur détection. Pour limiter les risques, les entreprises doivent adopter une approche proactive et ajuster régulièrement leurs stratégies de cybersécurité.
Une veille technologique rigoureuse est indispensable. Suivre les avancées en matière de génération et de détection des deepfakes permet d’adapter les outils de protection. Travailler avec des experts en cybersécurité, des chercheurs et des organismes spécialisés aide également à anticiper de nouvelles techniques d’attaque.
Au-delà des outils technologiques, chaque collaborateur doit être formé à repérer les signaux d’alerte. Des exercices réguliers renforcent ces réflexes et évitent les réactions trop instinctives face à une demande inhabituelle. Développer une culture cyber permet d’ancrer ces bonnes pratiques dans le quotidien de l’entreprise.
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